La Résistance
D'après
Ils ont franchi les Pyrénées par Hector Ramonatxo
Les premiers balbutiements de la Résistance
Bien sûr, ce mot de Résistance, dont on a tant usé et
abusé, n’existait pas en juillet 1940, après les revers de l’armée française.
Cependant, de nombreux Français des Pyrénées-Orientales, protégés malgré tout
par un armistice qui empêchait l’occupation totale de la France, cherchaient le
moyen de continuer la lutte, secrète tout au moins. Tout espoir n’était pas
complètement perdu puisque l’Angleterre continuait à se battre et que le
général de Gaulle reprenait les traditions de l’armée française. Les Anciens Combattants
de 14-18, qui avaient assisté au triomphe de novembre 1918 (quelque vingt ans
plus tôt), étaient surtout ulcérés d’une défaite qu’ils se refusaient à croire
définitive.
Il fallait évidemment envisager une action secrète.
L’armée avait mis sur pied, dès les premiers succès d’Hitler, des services dont
le fonctionnement n’était nullement mis en cause par l’armistice et
l’occupation. Sous l’impulsion des chefs des services de renseignements et de
contre-espionnage, dès juin 1940, l’articulation de ces réseaux avait été
modifiée pour leur permettre d’agir dans une totale clandestinité et au
bénéfice des armées françaises et alliées qui poursuivaient la lutte. Les
antennes de ces services, à Perpignan et Toulouse, avaient pour mission, outre
la poursuite de leur tâche habituelle, l’organisation de liaisons à travers les
Pyrénées, avec les autorités britanniques et, ultérieurement, avec les services
américains et gaullistes.
Ce sera l’honneur du capitaine Lulli, du lieutenant
Bellair et de l’officier de marine Campa, d’avoir conseillé à leur petite
équipe de spécialistes du département des Pyrénées-Orientales de rester en
contact permanent avec eux, de continuer à être discrets, d’avoir confiance les
uns dans les autres, et d’essayer d’entrer en rapport avec les services
britanniques d’Espagne. Ces trois officiers continuèrent le combat, chacun de
son côté ; le capitaine Lulli fut déporté en Allemagne après l’occupation
totale de la France. Ainsi donc, sans transition, la guerre secrète continuait
en Roussillon. La suite de ce récit montrera combien les services de
renseignements de l’armée, forts de leur expérience, contribuèrent d’une
manière efficace à la poursuite de la lutte. Ils avaient à leur disposition des
patriotes triés sur le volet ; on ne fait rien contre le temps dans ce domaine
et, surtout, on n’improvise pas.; c’est pour cela que ces hommes ont mené à
bien des missions dangereuses et ont pu échapper à des pièges tendus par la
Gestapo. Les choses n’étaient pas faciles, cependant, dans ces départements
frontières commodes à surveiller, où les passages de montagne, peu nombreux,
sont tous connus.
Haut de page
La brigade de gendarmerie de Saillagouse
Si les Allemands avaient édité un dictionnaire à leur
image pendant l’occupation en France, ils auraient défini Saillagouse comme
suit : petit village de Cerdagne de 500 habitants, à la frontière
franco-espagnole des Pyrénées-Orientales. Occupé par une section de
gardes-frontière de 40 hommes ; lieu de passage peu utilisé par les évadés de
France ; quelques arrestations.
Par contre, si les services de l’armée secrète en avaient
fait de même, leur définition de Saillagouse eut été toute autre et
probablement ainsi conçue : petit village de Cerdagne, 500 habitants, à la
frontière franco-espagnole des Pyrénées-Orientales. Le brigadier de gendarmerie
Botillon, cinq gendarmes et quelques volontaires ont organisé le passage de la
frontière de plus de cent cinquante officiers et chargés de mission. Ils ont
assuré en outre l’acheminement de nombreux courriers et de postes émetteurs.
Ces quelques lignes méritent bien des explications.
Saillagouse est situé à quatre kilomètres de l’enclave
espagnole de Llivia. De par sa situation géographique, le village communique
facilement par la route avec Llivia et Puigcerda par Estavar. Par la montagne,
à pied, mais avec plus de difficultés. Toutefois, on peut gagner l’Espagne par
les vallées d’Err et de Llo. Enfin, du côté français, deux routes nationales
conduisent vers l’intérieur du territoire, soit en direction de Perpignan, soit
dans celles de l’Aude et de l’Ariège par le Capcir.
Le brigadier Botillon et les cinq gendarmes : Lafontaine,
Ecolier, Petitot, Bega et Vila, jouèrent une périlleuse partie de cache-cache
avec le peloton allemand qui occupait le village. Cette partie dura de novembre
1942 aux premiers jours de juin I944. Quelques habitants de la région, que l’on
peut bien citer, aidèrent de leur mieux cette poignée d’hommes à marquer des
points : le boucher Caillon, le fermier Gaillard de Llo, l’instituteur Moulin
d’Err, l’ingénieur Boyard, l’épicière Dolorès d’Estavar et son mari Rondols,
maire d’une commune voisine, et son fils, ne dédaignaient pas non plus, à
l’occasion, d’apporter leur concours à l’œuvre commune.
Tous ces hommes surent admirablement tirer parti de cette
situation à la fois privilégiée et dangereuse.
En contact étroit, ils constituèrent bientôt un des plus
magnifiques réseaux de passeurs du département.
Botillon, d’accord avec son commandant de Perpignan, était
déjà en rapport avec des organisations secrètes de l’armée avant l’occupation
totale de la France. Il connaissait déjà Raymond, son frère, ainsi que Leblond,
qui assuraient depuis longtemps une liaison avec les services de nos alliés en
Espagne.
Au bout de quelques mois et avec beaucoup d’à propos, le
commandant Prince n’hésita pas à envoyer d’Alger, dans la région catalane,
Claude le douanier, qui fit merveille. Il appartenait à la brigade de la
Cabanasse. L’homme, qui connaissait la montagne dans ses moindres détours,
avait déjà facilité le passage en Espagne à de nombreux Français. En juillet
1943, étant à Perpignan, il organisa avec un inspecteur de police l’évasion du
colonel Ali, interné à la citadelle, et qui était un des chefs de l’Armée
secrète. Les trois hommes gagnèrent assez facilement l’Espagne grâce à Claude.
Ce dernier poursuivit son voyage jusqu’à Alger et quelques semaines plus tard,
le commandant Prince le renvoyait encore en mission en France et plus
particulièrement en Cerdagne. Claude était le plus souvent accompagné d’un
officier de réserve, le Chasseur, qui avait rempli avec succès plusieurs
missions en France occupée.
Haut de page
Les curés et les gendarmes
La maison de santé des Escaldes, près du village de Dorres
et à un kilomètre au plus à vol d’oiseau de l’enclave de Llivia fut, pendant
l’occupation allemande, un lieu de passage discret et commode pour les réseaux
commandés parle futur « ministre Frenay ». L’abbé Ginoux, curé du
lieu, la directrice du sanatorium, recevaient les courriers qui, par Llivia et
Puigcerda, parvenaient à Barcelone, puis à Alger, le plus discrètement
possible.
Le prêtre connaissait tous les sentiers qui conduisent à
Llivia et, dans sa soutane verdie et usée, il cachait souvent quelques plis
dont la découverte aurait amené le porteur devant le poteau d’exécution.
A l’occasion, bravant les multiples dangers de la zone
interdite, il n’hésitait pas à courir le risque d’accompagner lui-même à la
frontière les fugitifs qu’on lui confiait !
Au cours de l’hiver 1943-44, il fut le héros d’une de ces
aventures où le pittoresque se mêle au tragique, et qui classent l’homme. Son
réseau lui avait confié la mission d’assurer le passage de la frontière de six
aviateurs canadiens. Il s’agissait de l’équipage d’un avion allié abattu en
France au cours d’un bombardement. Ces hommes, cachés depuis quelques jours au
sanatorium des Escaldes, voulaient arriver à Gibraltar.
Prudemment, l’abbé Ginoux chercha tout d’abord à mettre
toutes les chances de son côté, car les Allemands ne badinaient pas sur le
chapitre de l’évasion des aviateurs alliés. Une famille amie de Puigcerda, à
laquelle il s’était adressé, le recommanda aux fermiers d’un mas entre Enveigt
et Puigcerda, que l’on appelait soit « Torre de Gelabert », soit « Mas Français
». Cette propriété jouit d’une particularité curieuse qui, jusque là, avait
surtout intéressé les contrebandiers : les bâtiments et les terrains qui la
composent sont à cheval sur la frontière franco-espagnole, et peuvent se prêter
à toutes sortes de combinaisons.
La Résistance devait en faire son profit, et le curé des Escaldes
a dû bien souvent bénir le vieux traité des Pyrénées qui, trois siècles
auparavant, avait tracé, avec tant de fantaisie, les limites de la France et de
l’Espagne.
Les fermiers acceptèrent volontiers de donner asile
provisoire aux Canadiens. Le passeur prit alors la précaution de transformer
les militaires en curés. En cas d’alerte, pensait-il, on aurait sans doute
quelque chance d’échapper à une arrestation, en déclarant au besoin que ces
pseudo-religieux étaient en cours de traitement dans une des nombreuses maisons
de repos de Cerdagne. L’abbé se procura à grand’peine les soutanes nécessaires
à la réalisation de son plan. Elles étaient malheureusement trop courtes et ne
cachaient qu’à demi les guêtres des aviateurs, mais à la guerre comme à la guerre
!
Pour éviter les patrouilles allemandes d’Ur et de
Bourg-Madame, la petite troupe se dirigea vers l’ermitage de Belloch qui domine
la Cerdagne. Notre brave abbé voulait, en passant devant la chapelle, réciter
quelques paters pour se faire pardonner le péché véniel qu’il commettait en
utilisant ainsi les vêtements ecclésiastiques. Cette prière attira certainement
sur lui la bénédiction divine, car après avoir croisé tour à tour la route n°
20 et la voie ferrée du petit . train jaune, comme on l’appelle en Cerdagne,
tous les voyageurs parvinrent sans encombre au refuge choisi, où des amis sûrs
les attendaient en même temps qu’une soupe chaude, qui devait tous les
réconforter après ces fortes émotions. Le gros danger était dorénavant écarté.
Nos Canadiens purent continuer leur voyage, et l’abbé Ginoux regagna sa cure
pour rendre compte à ses chefs de la réussite de sa mission.
Au village voisin d’Angoustrine, une maison de repos tenue
par des religieux constituait une halte précieuse pour les jeunes gens qui
voulaient passer les Pyrénées. Ils trouvaient là le gîte et le couvert et, ce
qui était mieux encore, une atmosphère de sécurité qui ravivait leur courage.
C’est par cette petite localité qu’un ancien ministre, Reibal, put échapper aux
Allemands.
La Gestapo de Bourg-Madame ayant eu quelques échos sur
l’activité de cet établissement, arrêta à diverses reprises plusieurs membres
de la communauté. Osséja, de son côté, fournit un contingent de passeurs à la
fois prudents et audacieux.
Le village, situé près de l’ Espagne, jouit d’une position
géographique privilégiée, car aucun obstacle naturel ne sépare les deux
frontières. Le brigadier de gendarmerie Lamarques et ses hommes, parmi lesquels
on peut citer plus particulièrement Tazas et Salins, virent arriver, dès la
mi-novembre 1942, des contingents importants de jeunes gens et de soldats qui
voulaient aller en Afrique du Nord. Ils les conseillaient de leur mieux en leur
indiquant les lieux et les heures de passage les plus favorables pour franchir
la frontière. Parfois ils leurs offraient des asiles sûrs dans des maisons de
santé où ils pouvaient se reposer quelques heures. Mais peu à peu, les
Allemands organisèrent méthodiquement leur surveillance, obligeant gendarmes et
passeurs à redoubler de prudence pour éviter d’être pris. Lamarques était en
rapport avec les dirigeants d’un réseau d’évasion de Marseille. La préfecture
de cette ville établissait des pièces d’identité en faveur des hommes qui
voulaient s’évader. On les domiciliait pour la circonstance dans des cliniques
d’Osséja où ils devaient recevoir des soins. Par groupes de deux ou trois les
gendarmes leur faisaient passer la frontière et leur indiquaient le meilleur
moyen de gagner la localité espagnole la plus éloignée possible de la France
Lamarques était très lié avec le passeur Fortuné. Par une
indiscrétion, il avait appris que les gardes-frontière allemands d’Osséja le
surveillaient et qu’ils allaient l’interroger. Fortuné, prévenu, répondit
convenablement aux questions qui lui furent posées ; il ne fut arrêté que
quelques heures, mais l’alerte avait été chaude. Vers la fin avril 1943, il
comprit qu’il ne pouvait plus être d’une grande utilité et il s’évada à son
tour en Espagne.
On peut évaluer à plus de six cents le nombre de personnes
qui traversa la frontière dans la région d’Osséja grâce à cette brigade de
gendarmerie et à un petit groupe de passeurs dévoués.
Haut de page
Toujours les curés, et puis aussi les cheminots et les
cantonniers
La vallée du Carol fut également un lieu de passage favori
des évadés. Très étroite, elle était pourtant facile à surveiller.
Les Allemands avaient organisé des contrôles tout le long
de la voie ferrée Toulouse-la-Tour-de-Carol Mais bien des cheminots, qui
étaient en relation avec des réseaux d’évasion, déjouaient la vigilance des
occupants. Les jeunes gens étaient cachés dans des wagons de marchandises. En
un lieu désert de la vallée, le mécanicien, avec la complicité du chef de
train, faisait ralentir le convoi, les fugitifs sautaient du train et se
cachaient dans les environs. Puis d’autres cheminots ou des cantonniers, et
plus particulièrement ceux de Porté, commandés par Vivier, leur indiquaient la
voie la plus commode et la moins dangereuse pour atteindre la vallée du Sègre
en Espagne. Quelquefois, les gendarmes de Porté et de la Tour de Carol
protégeaient les évadés en leur indiquant les sentiers de passage qui n’étaient
pas connus des Allemands. Plus d’un Français, s’il est parvenu à bon port à
Alger, le doit à un obscur fonctionnaire de la frontière.
Le presbytère de la Tour de Carol, habité par l’abbé
Jacoupy, fut un relais pour un grand nombre: Le balcon de cette maison que la
main providentielle de Dieu avait placé au bon endroit dominait les deux
obstacles qu’il fallait vaincre : la frontière, toute proche, et la maison
de la Gestapo à trente mètres sur la verticale. Quand un candidat aux F.F.I.
était adressé à ce bon abbé, ce dernier, du haut de son balcon, lui montrait le
raccourci idéal pour gagner le village espagnol le plus proche. De son
observatoire, il voyait les patrouilles allemandes sortir et rentrer de leur
quartier général. Il n’avait plus qu’à choisir en conséquence l’heure du
départ. Tout cela entre deux messes ou deux chapelets, avec une discrète
modestie.
Haut de page
La gare internationale de Latour de Carol
Son animateur pendant l’occupation fut un cheminot aussi
modeste que courageux, Laverie. Il fut aidé Par le mécanicien Magin et
l’entrepreneur Baligné.
Laverie constituait le dernier maillon d’une chaîne
d’évasion de Toulouse, dont les correspondants étaient échelonnés le long des
gares importantes du tronçon Toulouse-La Tour de Carol. Ceux qui cherchaient à
quitter la France, arrivaient à la gare terminus cachés dans des wagons de
marchandises, parfois même sous les essieux. Il fallait d’abord les soustraire à
la vue des soldats allemands stationnés à la gare en les cachant rapidement
dans des locaux désaffectés. Après quoi, généralement pendant la nuit, Laverie
lui-même, après les avoir ravitaillés, les accompagnait à la frontière, à
quelques minutes de marche. Quand la surveillance se resserrait, il les
revêtait d’une veste de cheminot pour donner le change aux Allemands.
Haut de page
Bilan des opérations Roussillon, Andorre et Ariège
Entre les mois de novembre 1942 et de juin 1944, plus de
sept mille Français, appartenant à toutes les classes de la société, ont pu
sans encombre, franchir les Pyrénées par le Roussillon.
Les statistiques de la Croix-Rouge en sont une preuve
irréfutable. On voudrait pouvoir préciser le nombre de ceux qui ont été arrêtés
ou qui sont tombés au cours de leur patriotique évasion. Hélas, la Gestapo n’en
a laissé aucune trace. Cet important contingent a fourni un apport appréciable
à l’armée française en Afrique du Nord, qui s’est couverte de gloire en Italie.
De nombreux réseaux ont acheminé par cette voie leurs
courriers contenant des renseignements militaires de grande importance. Plus de
cinq cents plis secrets ont été enregistrés par les services compétents.
En sens inverse, quand il s’agissait de préparer les
débarquements de Normandie et de Provence, plus de cinquante missions ont
croisé les Pyrénées pour rejoindre le secteur qui leur était assigné. Chacune
d’elles était munie d’un poste émetteur.
Tout cela était l’œuvre d’un nombre relativement peu élevé
de passeurs volontaires dont beaucoup avaient été choisis par des officiers
appartenant au fameux réseau militaire S.S.M/.F.-/T.R.
Plusieurs dizaines d’entre eux ont été fusillés et
nombreux sont aussi ceux qui ont été déportés en Allemagne et ne sont jamais revenus.
Dans cette lutte sourde avec un ennemi puissant et
organisé, les passeurs pyrénéens ont déployé avec succès les qualités de leur
race et plus particulièrement la finesse et le courage calme. Sans
mitrailleuses, sans revolvers et sans bruit, ils ont réussi à tromper la
surveillance des Allemands dans la plus grande partie de leurs entreprises.
Haut de page
Madrid vaut bien une messe
S’il est vrai que l’on juge une région à ses enfants et un
arbre à ses fruits, les terres pyrénéennes peuvent s’enorgueillir d’avoir pris
une large part aux efforts qui ont conduit la France à la victoire.
Mais il serait injuste d’oublier que les services spéciaux
de l’armée avaient déjà organisé, au cours de la guerre 1939-1940, des filières
de passage à travers les Pyrénées. La majorité des hommes dont on vient de
retracer l’activité appartenaient aux réseaux militaires SSM/F/-TR. Qui plus
est, plusieurs avaient été renvoyés dans leurs foyers. Mais ils avaient gardé
l’empreinte de la maison. Ils étaient au courant de bien des choses et, dès
1941, ils ont répondu « présent » à l’appel de leurs chefs, tellement ils
avaient confiance en eux. Ces volontaires, appartenant à toutes les classes de
la société, avaient été judicieusement choisis, parfois depuis longtemps,
autant pour leurs qualités morales que pour leurs relations à la frontière et
souvent pour leur endurance physique. Tel est le cas, par exemple, des
Botillon, Claude, Félix, Rome et bien d’autres. Modestes artisans de la
résistance, ils ne connaissaient jamais à l’avance le travail qui leur serait
confié ; un appel téléphonique ou la visite d’un messager avec un mot de passe
leur apportait les ordres qu’il fallait exécuter.
Silencieux, prudents et résolus, ils se mettaient à
l’œuvre avec de bien petits moyens.
Forts de l’expérience acquise en 1939, perfectionnés pour
certains par des cours donnés par des officiers spécialistes, ils ont déjoué
plus facilement les pièges tendus par la Gestapo. Beaucoup plus chanceux que
bien des camarades d’autres réseaux non militaires, ils ont été moins décimés.
Ils le doivent au choix minutieux opéré par les chefs, qui s’étaient toujours
montrés très sévères dans leur recrutement. Aucune brebis galeuse n’a jamais pu
s’introduire parmi eux, à la frontière, et cela aussi a constitué un élément de
sécurité.
D’autres groupements catalans, notamment ceux de Céret,
Amélie-les-Bains et la vallée du Tech en général, ont à leur actif des
prouesses similaires qui gagneraient à être connues du grand public.
Débordant un peu le cadre de la Catalogne pour s’étendre
sur les Pyrénées centrales et la région basque et englober ainsi l’ensemble de
la frontière franco-espagnole, on peut remarquer que les grands de la
résistance qui, après la libération, se sont penchés sur les dossiers de la
guerre secrète concernant le Midi de la France et l’ Espagne, ont surtout
retenu les difficultés et les souffrances éprouvées par les évadés.
On n’a guère mis en relief le courage et le
désintéressement des nombreux passeurs pyrénéens, qui risquaient souvent leur
vie. Pourquoi ne pas souligner, non plus, les efforts continus et patients d’un
nombre restreint de Français qui, en Espagne, avaient la tâche ingrate de
s’occuper des évadés?
Ce petit groupe était composé de diplomates, officiers et
prêtres auxquels étaient venus s’ajouter des membres de l’enseignement et
quelques éléments appartenant aux diverses colonies françaises de la Péninsule.
Peut-être leur résistance fut-elle moins brillante et moins dangereuse que
celle de leurs camarades de France, mais elle donna de remarquables résultats.
On les appelait en Espagne les Gaullistes et ce
qualificatif était très amusant, car, souvent, à Alger, certains d’entre eux
avaient la réputation de giraudistes. D’ailleurs, on ne comprenait pas très
bien à ce moment-là dans la péninsule, quelle différence il y avait entre les
uns et les autres. Chacun s’occupait des évadés sans chercher à connaître leurs
opinions politiques. Ils étaient Français, voulaient se battre et cela
suffisait.
Par la suite, des précisions arrivèrent d’Alger. On se chicanait
sérieusement en haut lieu, tandis qu’en bas de l’échelle tout le monde était
d’accord sur l’union et la nécessité de continuer la lutte.
Après la victoire, Monseigneur Mas, de sa voix chaude,
s’exprimait en ces termes :
« Tout se liguait contre nous en novembre 1942,
depuis les consulats du gouvernement de Vichy jusqu’aux autorités de la
péninsule, qui n’étaient guère favorables à notre mouvement » ;
Et pourtant, dans l’espace de dix-huit mois, l’effectif de
deux divisions complètes a pu être envoyé en Afrique du Nord.
Certes si ces hommes avaient traversé le Jura et non les
Pyrénées, ils auraient été mieux accueillis mais n’en seraient pas moins restés
dans une cage aux barreaux dorés jusqu’à l’armistice. En Espagne, ils ont subi
une captivité douloureuse pendant quelques semaines, voire quelques mois, mais
la souffrance n’est-elle pas souvent la mère de l’héroïsme, et quelles moissons
de lauriers ces hommes n’ont-ils pas récoltées ensuite en Italie et en Alsace.
Il était difficile, pour ne pas dire impossible de faire
mieux et plus vite. Nous partions de bien peu, nous n’étions pas nombreux et de
longues semaines ont été nécessaires pour nous faire reconnaître et avoir le
droit de parler.
Souvent aussi, on a fait le reproche à certains
d’entretenir des relations d’amitié avec les officiers et des fonctionnaires du
gouvernement espagnol. Comment aurait-on pu agir autrement pour arriver à un
tel résultat ?
Tout cela heureusement ne sont que commentaires gratuits
après la victoire. Nous ne pouvons que reprendre, en le modifiant, le mot
d’Henri IV: « Madrid vaut bien une messe et, par surcroît, deux divisions ».
Qui dit mieux dans la résistance !
Haut de page