Par Sylvie Candau
Au XVIe siècle, surgit en Italie le mouvement de la Contre-Réforme, rassemblant l’Eglise catholique. Ses intentions ne sont que réactionnelles, ses manifestations extérieures n’ont donc pas besoin d’un style nouveau. Mais elle découvre le réservoir de forces encore inemployées que recèlent les formes de la Renaissance, ce que plus tard, ses détracteurs appelleront, péjorativement, le baroque, (c’est-à-dire “l’irrégulier bizarre”).
Le style de cette phase nouvelle se caractérise par sa conception théâtrale, et il va déferler sur toute l’Europe. Tous les éléments de la Renaissance y réapparaissent mais poussés vers une sorte de paroxysme. Le cercle des édifices à plan centré se déforme en ellipse, la façade domine de plus en plus l’extérieur du monument et ne cesse de croître en importance. L'accumulation d’ornements sculptés, de statues, de piliers, colonnes, pilastres, le jeu de volumes, tantôt concaves, tantôt convexes, lui confèrent une apparence à la fois enjouée et imposante. Les sinuosités du mur de façade, tout en courbes et contre-courbes, se prolongent à l’intérieur de l’édifice.
Si l’art roman est une composante essentielle de l’art de notre région, quelques siècles plus tard, l’art baroque témoigne d’une intense vitalité chrétienne, célébrant le triomphe de l’église sur la Réforme; une conversion des mentalités se fait, après le Concile de Trente. De Rome viennent les “grandes idéologies triomphales et religieuses”. A la puissance de l’Eglise s’ajoute celle de la monarchie absolue du Roi-Soleil; la théâtralité se manifeste alors dans toutes les circonstances de la vie religieuse ou civile.
L’architecture propose des variantes classiques sur le thème médiéval de l’église gothique (Prades, Eus, Ille/ Têt) ou délibérément baroque (église à coupole de Céret). Mais c’est surtout sur le mobilier des églises et notamment les retables que l’art baroque trouvera son expression la plus achevée en terre catalane.
Le diocèse d’Elne/Perpignan connût un véritable engouement pour cette forme d’art. On peuple les églises de statues et de retables (700 à 800 oeuvres), souvent d’excellente qualité. Les oeuvres de Lluis Genérès, Josep Sunyer et Jean-Jacques Melair témoignent par leur faste et leur richesse de l’intense bouillonnement spirituel que connût le XVIIe siècle.
A l’époque baroque, il y a un changement dans l’agencement des églises et dans la décoration, qui est plus riche et plus grande, en utilisant la sculpture polychrome. On voit poindre une renaissance de la sculpture sur bois avec le travail de Tremullas, Generès, les Sunyer, Nègre, Navarre…
Par ailleurs, on construit ou on agrandit nombre d’églises, même dans des villages ayant une population peu importante. Lorsque le gros oeuvre est terminé, on commence les dépenses pour le retable. Chaque paroisse en possède au moins 1 ou 2 : Collioure et Vinça : 9 , Enveigt : 7 , Rivesaltes, Prades et Cattlar : 8 , Espira de Conflent (300 hab.) : 5. Il y a un réel contraste entre la pauvreté de l’édifice et la richesse du mobilier. L’art baroque en Roussillon ne s’exprime pas par une architecture civile ou religieuse mais par la sculpture de retable sur bois. Si le Conflent et la Cerdagne sont demeurés riches en sculptures, ce n’est pas le cas de la Salanque.
Les grandes dimensions des églises baroques sont une contrainte pour la construction des retables, le retable est obligé de s’adapter. L’architecture de l’édifice fonctionne autour du retable comme un cadre autour d’un tableau : le chœur et les dalles sont le socle, les murs latéraux et la voûte, les contours. Les panneaux de bois sculptés et dorés, les statues de façade racontent des vies héroïques et pieuses ayant lieu dans des pays différents et à d’autres époques.
Les panneaux et les sculptures sont unis les uns aux autres par l’ornementation des colonnes, des corniches, des lambris, des frontons et des pinacles (qui deviennent allégoriques). Les panneaux marquent la narration et l’ornementation, la ponctuation.
Les retables sont connus par des contrats (en catalan jusqu’à la moitié du XVIIIe siècle) qui indiquent nombre de détails : bois à utiliser, dimensions, détails d’architecture et de sculpture (personnages…), prix convenu, avantages en nature, délai de fabrication…
La préparation du travail et des différents éléments se font en atelier (3 ou 4 ans selon l’œuvre), l’assemblage se fait sur place mais il n’est ni peint, ni doré. Pour le doreur, il y a un nouveau contrat indiquant les couleurs à utiliser.
Haut de pageavec 3 temps principaux
L’architecture rigoureuse et fortement structurée prédomine sur les éléments décoratifs. Les ordres se superposent en 2 ou 3 étages avec une multiplication de dais, clochetons et frontons brisés. L’ornementation utilise des motifs géométriques, anges ailés, colonnes cannelées, parfois des atlantes, cariatides ou têtes humaines. Le panneau est sculpté en léger relief, les statues sont sages et ne sortent pas de la niche. Il y a peu de polychromie et l’ensemble est entièrement doré.
Artistes : Lazare Tremullas, Lluis Generès, J. P. Giralt.
Œuvres : Autel majeur - Millas, Trouillas, Espira de Conflent, Palalda, St Felui d’Avall, Baixas
Le jeu de formes, de lignes et de couleurs atteint un baroque pur. Les lignes du plan architectural disparaissent dans l’enchevêtrement des motifs de décorations. Les anges musiciens envahissent corniches et frontons dans des positions contorsionnées. Le panneau sculpté devient mouvementé, les statues “s’envolent”, la niche est parfois supprimée. Les éléments végétaux et floraux prennent tout l’espace (il n’y a plus de motif géométrique). Introduction de la colonne torse avec treille et guirlande.
Artistes : J.J. Melair, Josep Sunyer, Lazare Tremullas fils, François Nègre.
Œuvres : 1er modèle à Cattlar, Rivesaltes (1675 - JJ. Melair)
Vers 1730 l’art du retable décline mais il se prolongera jusqu’en 1775
Haut de pageOriginaire de Vilafranca del Panadès (province de Bara), Lazare Tremullas appartient à une famille de plusieurs générations d’artistes. Il fait donc son apprentissage dans l’atelier paternel. La fin de cet apprentissage est marqué par le décor du buffet des orgues de la cathédrale de Valencia. Quatre ans plus tard, il sculpte le retable de l’église paroissiale de Valls (province de Tarragonne).
1643 - Retable de l’Immaculée-Conception de Camelas : toiles peintes dans une construction architecturale Contrat du retable du Rosaire (St Jacques, Perpignan) : détails précis de l’architecture. Il est doré par Pere Gadanyor.
1644 - Retable du maître-autel de Camelas : sculpté dans la première travée et peint dans la seconde
Fin 1647 - Retable d’Abdon et Sennen d’Arles : architecture simple, ornementation fine et abondante (rinceaux, chérubins, fruits, fleurs, cartouches…) meilleure exécution que pour le bas-relief.
Maître-autel de Millas (doré en 1647) : il n’y a plus de panneaux sculptés mais 6 niches avec la statue des saints. La volonté de rythme est obtenue par la répétition des mêmes motifs.
1654 - Retable de St François de Paule (cathédrale de Perpignan) : Tremullas ne pourra pas le finir et ce sera Generès qui le terminera.
1660 - Alors qu’il est mort, le retable du Rosaire servira de modèle à St Féliu d’Avall, à Cattlar (1681) et Bouleternère (1690).
Beaucoup d’œuvres ont disparu : commandes des retables de Canet, Brouilla, Latour-bas-Elne et les églises des Augustins et des Carmes de Perpignan.
Issu d’une famille de sculpteurs catalans de Manresa, travaille en Roussillon avant le Traité des Pyrénées (1659). C’est un bon architecte, bon sculpteur, attaché aux principes du premier art baroque.
1655 - Retable de la Trinité - Prades.
1661 - Maître-autel St Côme et St Damien - Serdinya.
1663 - Maître-autel St Julien et Ste Baselisse - Vinça. - Maître-autel Notre-Dame - Espira de Conflent.
1665 - Estoher.
1667 - Retable St François de Paule (fin des travaux de Tremullas) - Eglise des Minimes à Perpignan.
1671 - Retable St Dominique - Le Soler.
1671 - Maître-autel - Baixas.
Contrat du 12 décembre 1671 déterminant les détails architecturaux et iconographiques pour 290 doubles d’or. Il est construit de 1671 à 1676, donné à dorer à François Monadé en 1698 et terminé en 1701.
Dimensions : 17 m de haut x 12,20 m de large. Statue centrale : Vierge : 2 m et celles des volets latéraux : 1,60 m. (St Pierre, Paul, André, Jacques et Jean).
Il y a une alternance sur 3 étages de panneaux sculptés et de niches, ce qui multiplie le nombre de dais (7) et de frontons brisés.
Panneaux : vie de la Vierge : nativité, annonciation, présentation au Temple, visitation, fuite en Egypte et couronnement. La scène de la nativité de la Vierge est une copie de la gravure du Hollandais Cornélius Cort (1533 -1598).
Ce retable est une oeuvre de maturité et d’une grande richesse ornementale, mais il fait preuve d’un style un peu archaïsant, par rapport à ce que fait Melair à Rivesaltes (beaucoup plus baroque).
1672 - Maître-autel - Eglise St Etienne à Sahorre
1678 - Retable du Précieux Sang – Pia
1685 - Retable St Gaudérique - Abbaye St Martin du Canigou.
Carcassonnais de souche, c’est le premier artiste français à venir travailler en Roussillon après 1659 et à construire de grands retables baroques dans le second stade de leur évolution. Sa première oeuvre connue, le retable Ste Madeleine de Pazzi, (église des Carmes à Perpignan) a disparu.
A la même époque, Hyacinthe Rigaud est portraitiste à la cour de Versailles et Antoine Guerra fils est peintre officiel de Philippe V à Madrid.
1675 - Retable du Rosaire - Rivesaltes.
Retable Ste Eulalie - Cathédrale St Jean à Perpignan. Il est doré par Jean Scriba en 1682. Dimensions : 13 m de haut x 8 m de large.
Anges sur les corniches - 3 types de colonnes : berninesque, vitinéenne, cannelée. Statues de St Pierre et St Paul, au centre une peinture de Ste Eulalie.
1678 - Maître-autel - Rivesaltes, Marquixanes et Bouleternère.
1693 - Maître-autel - Aiguatébia.
1697 - Retable de la Transfiguration (pour une église de Perpignan) transféré à Vinça. Construction de 1697 à 1741. La transfiguration du Christ est une toile de Guerra. Les statues sont mouvementées, les frontons brisés. L’ornementation se compose d’anges aux ailes déployées, de fleurs, de fruits, de cariatides, de colonnes salomoniques. C’est un art très aristocratique.
Issu d’une famille de sculpteurs catalans de Manresa, vers 1660, Josep Sunyer fait son apprentissage dans l’atelier familial.
En 1672, il aide à la construction du retable de Notre-Dame du Rosaire de Navarches. Il vient ensuite à Perpignan pour travailler dans l’atelier de Lluis Generès.
1689 Il rentre à Manresa où il construit le retable du Précieux Sang de la Seu de Manresa.
1690 Sunyer prend la tête de l’atelier familial et déploie une intense activité de part et d’autre des Pyrénées.
1696 – 1699 - Maître-autel de St Pierre – Prades (16 m x 10,80 m)
1698 - 1701- Maître-autel Notre-Dame des Anges - Collioure (15 m x 9,38 m)
A Prades et à Collioure, on retrouve un triptyque factice avec des volets latéraux presque ouverts. Le volet central accueille le saint titulaire sous un dais à volutes pendantes, tandis que les volets latéraux proposent des panneaux sculptés en haut-relief racontant des scènes de la vie du saint.
Le soubassement se compose de 4 piliers massifs, la prédelle de 2 panneaux en relief avec médaillon ovale et 4 cartouches ornés de bustes. Les 2 travées principales sont soutenues par un groupe de colonnes torses et 4 statues d’apôtres. La dernière travée est un fronton.
En absence de niche, la statue d’apôtre devient un élément d’architecture essentiel à la place des colonnes. L’ornement floral et animal occupe tout l’espace.
1699 - Retable N-Dame du Rosaire - Osséja.
1704 - Maître-autel St Antoine - Rô/Saillagouse.
1704 - 1707- Maître-autel Ermitage de N-D de Font-Romeu - Odeillo
1710 - Retable du Rosaire - Vinça
1715 - Retable N-Dame de Vie - Villefranche de Conflent
1718 - Ermitage de N-D de Font-Romeu - décor du camaril.
Le diocèse d’Elne / Perpignan commande au sculpteur perpignanais Pierre Navarre une maquette de baldaquin pour la cathédrale d’Elne, pour 490 livres, “dans le goust de ceux de St Germain des Prez et du Val de Grâce”, pour remplacer celui en orfèvrerie en mauvais état.
1723 - 1724- Baldaquin d’Elne
Pierre Navarre a vraisemblablement imité l’autel de St Germain des Près, avec de nouvelles orientations artistiques car les membres religieux du chapitre sont français.
3.550 livres : démolition de l’ancien autel, réaménagement de la table et de 6 colonnes de marbre.
235 livres : pour arranger les 8 colonnettes entourant le tabernacle à reliques.
2.400 livres à Pierre Navarre pour les boiseries dorées, les chapiteaux, les statues et autres éléments de décoration.
Avec les autres frais (salaires…), le coût est de 9.255 livres, 6 sols et 3 deniers.
1739- Retable St Louis - Chapelle du Château royal - Collioure (perdu)
1743- Maître-autel N-Dame des Anges - Toulouges.
1754 - Maître-autel N-Dame del Prat - Argelès.
1756 - Maître-autel de la Vierge, retables du Rosaire et du Christ - Néfiach
1757 - Tabernacle monumental - Vinça
1771 - Statues de la Vierge et du Ressuscité - Thuir.
1656 - Céret
1661/1701- Palalda
vers 1714 - Retable St Vincent - Collioure
1718 - Retable Ste Lucie – Collioure
Paul SUNYER s’associe à Louis Baixas à partir de 1723
1723 – 1735 - Caldégas
1735 – 1736 - Eus en association
1733 - Hix, St Martin
1734 - Osséja
1707 - Autel du Précieux Sang – Rivesaltes. Doré en 1711/1713 par Jean Escriba. Hyperbaroque.
né vers 1661, il travaille à l’atelier de Lluis Genérès.
1688 - Maître-autel St Martin - Fourques : très vivant. Doré en 1709.
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